Recours abusif contre les permis de construire : une lourde condamnation prononcée par le Tribunal de Commerce de Paris

Le Tribunal de commerce de Paris a condamné pour recours abusif une société ayant contesté diverses autorisations d’urbanisme portant sur la construction d’un centre commercial. La somme record de 8 millions d’euros a été allouée au promoteur du projet, en réparation de son préjudice. Du fait des retards causés par les procédures, ce dernier avait en effet été contraint d’abandonner le projet de centre commercial.

Si l’exercice d’une action en justice constitue un droit, il existe une limite tenant au caractère abusif de l’action. Dans ce cas, elle constitue ainsi une faute du justiciable, ouvrant droit à la réparation du préjudice subi par la victime de cette procédure.

La question du caractère abusif des recours s’est posée plus particulièrement en matière de construction, contre les permis de construire et autres autorisations d’urbanisme.

Impact sur les projets

Des voisins, des associations, voire des concurrents peuvent en effet contester devant le tribunal administratif les permis. Ces recours ont pour effet, dans de nombreux cas, de retarder le commencement des travaux objet du permis.

En effet, le plus souvent, le début du chantier est subordonné à la purge des recours contre le permis.

Les principales raisons sont que :

  • en cas de recours à un financement bancaire, les banques sont peu enclines à débloquer les fonds nécessaires au financement de l’opération alors qu’un recours est pendant
  • les promoteurs sont peu disposés à commercialiser des biens avant leur réalisation (en VEFA notamment) sur lesquels pèsent un risque contentieux
  • les notaires sont réticents à instrumenter des ventes  tant que les contentieux sont en cours (VEFA)

cf. sur ces questions, notamment Rapport Maugüe -Propositions pour un contentieux des autorisations d’urbanisme plus rapide et plus efficace

De nombreuses évolutions législatives et règlementaires ont eu lieu en la matière, sur lesquelles il ne sera pas revenu. On peut néanmoins citer la possibilité de solliciter des dommages-intérêts, devant le tribunal administratif, dans la même instance que celle portant sur l’annulation du permis, et ce à titre reconventionnel.

Stratégie de défense des promoteurs

En parallèle, les promoteurs ont développé une stratégie de défense face à des recours qu’ils estimaient abusifs.  Beaucoup ont pris le parti de saisir les juridictions judiciaires (Tribunal judiciaire, Tribunal de commerce) contre les personnes contestant les autorisations d’urbanisme, en invoquant le caractère abusif du recours, donc fautif.

Cette stratégie a un double objet :

  • dissuasif : contraindre les requérants à abandonner leur recours, afin que le projet puisse débuter
  • indemnitaire : obtenir réparation du préjudice subi du fait des retards dans la construction ou de l’abandon du projet

La Cour de cassation a d’ailleurs pu valider l’objet purement dissuasif de cette stratégie, en considérant que le comportement du promoteur n’était pas nécessairement qualifiable lui-même d’abusif lorsqu’il agissait en ce sens.[1]

Dans l’affaire précitée, le Tribunal de commerce de Paris a estimé que les procédures engagées contre les diverses autorisations de construire du centre commercial étaient abusives et avaient conduit à l’abandon du projet.

Le Tribunal a ainsi accordé au promoteur une indemnisation de son préjudice (a à hauteur de 8 millions d’euros).

Critères du recours abusif en matière d’urbanisme

Il ne faut pas en déduire pour autant que le simple exercice d’un recours caractérise une procédure abusive. Le Tribunal a notamment pris en compte l’existence de recours successifs tous rejetés par les juridictions administratives et la circonstance que les recours étaient « manifestement voués à l’échec ».

Il s’est ainsi positionné dans la droite ligne de la jurisprudence. En effet, celle-ci considère que des recours contre des permis de construire peuvent être qualifiés d’abusifs, notamment lorsque les procédures n’ont pas de chances de prospérer.[1]

De manière explicite, des cours d’appel ont considéré que le caractère abusif réside dans la « persévérance dans une voie vouée inéluctablement à l’échec » ou « l’absence de tout fondement juridique à l’action ».[2]

Sont pris en compte à ce titre notamment l’absence manifeste d’intérêt à agir[3], l’inanité de l’argumentation[4] et l’acharnement procédural[5].

Toutefois, le seul fait que le recours contre le permis soit rejeté ne rend pour autant et automatiquement la procédure abusive. [6]

Les juridictions qualifient également d’abusives les procédures intentées dans l’intention de nuire au pétitionnaire[7], soit que cette intention de nuire soit exclusive de toute autre considération, soit qu’elle soit le mobile déterminant de l’action.[8]

Il s’agit là d’une grille générale de lecture, qui doit être adaptée à chaque cas particulier.

N’hésitez pas à vous faire accompagner.


[1] cf. par exemple Cass. 2ème civ., 5 février 2015, n° 14-11.169 ; Cass. 2ème Civ., 7 octobre 2004, n° 02-14.399; CA Aix-en-Provence, 22 Octobre 2020, n° 18/04147

[2] CA Aix-en-Provence, 22 Octobre 2020, n° 18/04147

[3] CA Aix-en-Provence, 16 mars 2011 (motifs de l’arrêt cité dans Cass. 3ème civ., 5 juin 2012,, n° 11-17.919), concernant une société dont le bien était trop distant du projet objet du permis

[4] mauvaise foi, absence de preuve ou de fondement juridique, cf. par exemple Cour d’appel, Aix-en-Provence, 22 Octobre 2020, n° 18/04147

[5] Cass. 2ème Civ., 7 octobre 2004, n° 02-14.399

[6] Cass. 3ème civ., 28 octobre 2003, n° 02-12.837 ; CA Versailles, 22 septembre 2017, 15/060921, CA Aix-en-Provence, 22 Octobre 2020, n° 18/04147

[7] Cass. 3ème civ., 5 juin 2012,, n° 11-17.919 ; Cass. 3ème civ.,, 26 mars 2013, 12-12.020,

[8] Cass. 3ème civ., 5 juin 2012,, n° 11-17.919 ; Cass. 3ème civ.,, 26 mars 2013, 12-12.020,